La conférence « Claude Lombois et la justice pénale internationale », organisée le 27 novembre 2025 à l’université de Caen Normandie et coorganisée par Théo Scherer et Thomas Besse, maîtres de conférences en droit privé à l’université de Caen Normandie (ICREJ), s’inscrivait pleinement dans les objectifs de la Chaire Mémoire et avenir de la paix. À la croisée du droit et de l’histoire, cette dernière explore la circulation et la mise en œuvre des normes favorisant une paix durable.

C’est en ce sens qu’Armelle Gosselin-Gorand, professeure de droit privé à l’université de Caen Normandie (ICREJ) et porteuse de la Chaire Mémoire et avenir de la paix, affirme, lors des propos introductifs de la conférence, que les réflexions suscitées à travers cette table ronde s’inscrivent directement dans plusieurs axes de recherche de la Chaire. En effet, les échanges font particulièrement écho à l’axe visant à identifier et diffuser les outils de pacification, à travers l’étude de la justice pénale internationale et de ses mécanismes, mais aussi aux axes déterminer et diffuser les contours de la paix et questionner les exigences de paix, puisqu’elle interroge les normes, les responsabilités et les processus juridiques qui contribuent à la prévention des violences et à la consolidation d’un ordre international pacifié.
Au centre des échanges se trouvait l’œuvre de Claude Lombois, professeur de droit privé et l’un des pères fondateurs du droit pénal international, dont les travaux ont marqué la doctrine par leur originalité. Civiliste de formation, il fut l’un des premiers juristes à ouvrir le droit privé aux problématiques de justice pénale internationale à une époque où celles-ci étaient rarement abordées en dehors des cercles pénalistes. Son manuel et ses écrits ont anticipé des débats majeurs qui structurent encore aujourd’hui les réflexions sur l’articulation entre ordres juridiques, la responsabilité individuelle au plan international et l’efficacité de la répression.
Regards croisés sur l’héritage de Claude Lombois

L’intervention de Dzovinar Kevonian, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Caen Normandie (HisTeMe), a posé les fondements historiques de la justice pénale internationale. Elle a retracé l’émergence progressive d’un droit pénal au-delà des frontières, en rappelant notamment l’importance de la pensée d’Hugo Grotius au XVIᵉ siècle, qui établit les premières distinctions entre droit interne et droit externe et affirme la dignité humaine comme principe universel. Elle a ensuite souligné l’apport de Gustave Moynier au XIXᵉ siècle, avant de revenir sur les grandes étapes du XXᵉ siècle, de la Première Guerre mondiale aux projets de juridictions pénales internationales, en passant par l’influence décisive de Raphaël Lemkin. Cette perspective historique a permis de montrer que la justice pénale internationale est le fruit d’un long processus intellectuel et institutionnel.
Thomas Herran, maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l’université de Bordeaux, a replacé l’œuvre de Claude Lombois dans l’histoire doctrinale du droit international. Il a insisté sur l’originalité de sa démarche : celle d’un civiliste qui s’intéresse à la justice pénale internationale et qui, ce faisant, élargit considérablement le champ de réflexion. Lombois a anticipé de nombreux questionnements contemporains, notamment l’extension de l’influence de la Convention européenne des droits de l’Homme, la question de la répression pénale au niveau européen et la distinction encore si actuelle entre justice internationale et droit pénal international. Son analyse de la notion « d’infraction internationale par nature » et sa lecture novatrice de Nuremberg témoignent de sa capacité à saisir les transformations profondes du droit.
Jacques Leroy, professeur émérite de droit privé et sciences criminelles à l’université d’Orléans, a abordé la pensée de Claude Lombois à travers une distinction centrale : celle entre la norme de comportement, qui énonce l’interdit pénal, et la norme de répression, qui prévoit les mécanismes permettant de le sanctionner. Cette distinction éclaire la façon dont Lombois comprenait l’articulation entre ordres juridiques nationaux et internationaux. Selon lui, la responsabilité pénale internationale dépend nécessairement d’une coopération étroite entre États, car l’obligation qui pèse sur les individus ne peut se déduire mécaniquement de l’obligation internationale pesant sur les États. Il soulignait également la nécessité de tenir compte des décisions étrangères, comme les jugements définitifs ou classements sans suite, afin de dépasser l’impérialisme du droit interne et de renforcer l’efficacité de la répression internationale.
Barbara Drevet, maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l’université Clermont Auvergne, aborde la question de « l’après Claude Lombois ». En 1971, Claude Lombois, dans la première édition de son précis de droit pénal international, s’interrogeait sur la création d’une Cour criminelle internationale et distinguait deux modes de création : par convention internationale ou par l’ONU, à l’image de la Cour internationale de justice. Cette seconde possibilité emportait la préférence de Claude Lombois, qui y voyait deux avantages : contraindre à l’adhésion automatique tous les membres de l’ONU et obliger cette dernière à l’assister pour favoriser son efficacité. Surtout, il relève que cela éviterait de faire dépendre l’efficacité de l’institution d’un seul État. C’est dire que Claude Lombois était visionnaire, si l’on regarde les développements récents de la justice pénale internationale. En effet, les conflits ukrainien et palestinien révèlent les limites de la matière, que le mode de création conventionnel de la Cour pénale internationale ne suffit pas à expliquer. La difficulté malheureusement incurable de la matière est d’être toujours mêlée de politique internationale et entravée par les rapports de force entre les États, parties ou non.
